La liturgie du mercredi des Cendres propose d’écouter, dans la Bible, un passage du Livre de Joël (versets 12 à 18). Un texte très fort dont voici une méditation pour bien commencer le Carême.
« Déchirez vos coeurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car
il est tendre et miséricordieux »
Cet appel vibrant du prophète Joël, qui ouvre la liturgie de la Parole du mercredi
des cendres, indique la voie qu’il nous faut emprunter au cours de ces 40 jours qui
doivent nous conduire à Pâques.
Paroles étranges en vérité. « Déchirez vos coeurs… » Comment comprendre ces mots
du prophète ?
Peut-être nous faut-il déjà porter nos yeux vers l’autre bout de ce carême, vers le
terme et la fin qui justifient ce cheminement de toute l’Église. Car dans 40 jours,
c’est vers un coeur déchiré, transpercé que nous lèverons le regard : « Ils lèveront les
yeux vers Celui qu’ils ont transpercé. » avait prophétisé l’évangéliste Jean (19,36)
A l’autre bout de notre carême, c’est vers un coeur ouvert, que nous porterons notre
regard car de lui se déversent sur nous des fleuves d’eaux vives, une fontaine de
grâces. Le théologien allemand Karl Rahner, dans une méditation magnifique sur le
Sacré Coeur de Jésus rappelait que la lance du soldat Longin, en perçant le coeur du
Christ est allée beaucoup plus loin que sa chair. Elle a plongé jusqu’au centre du
mystère trinitaire, jusqu’à cette intimité d’amour des Trois Personnes Divines qui
par le coeur transpercé est communiquée à toute la création. Ce coeur transpercé du
Christ est devenu le canal, l’aqueduc par lequel Dieu déverse sa vie même sur la
création.
En déchirant à notre tour notre coeur, le prophète Joël nous invite à venir coller
notre pauvre coeur à cette ouverture béante sur l’infini, sur ce mystère d’un Dieu qui
nous sauve. En déchirant notre coeur, nous sommes invités à en faire le calice, le
Graal réceptacle de la vie divine qui s’échappe pour nous par le flanc ouvert du
Christ en croix. Que c’est grand ! Que c’est beau !
Ne laissons pas se perdre une seule goutte de ce sang précieux, de cette vie divine
qui sourd du côté transpercé. Déchirons nos coeurs pour que toute notre intimité
devienne le réceptacle de la vie divine que notre Seigneur a voulu nous
communiquer. Voilà la tendresse et la miséricorde de Dieu, autant d’attributs qui
nous portent au seuil de ce mystère incommensurable. La miséricorde, l’autre nom
de Dieu, c’est le coeur de Dieu qui se penche sur notre misère pour y déverser le
salut. C’est un acte recréateur. Sommes-nous disposés à nous laisser remplir par
cette grâce qui nous vient de la blessure du crucifié ?
Ce carême est une invitation à ne pas rester à l’extérieur de nous-mêmes, à la
surface de notre être dans des relations superficielles et mondaines, ce que traduit
le vêtement. Il nous faut plonger jusqu’à la racine de notre être où Dieu nous attend.
Mais comment déchirer notre coeur ? L’évangile nous propose trois moyens
concrets. A condition, bien sûr, de les vivre depuis notre intimité et non de façon
extérieure et légaliste. Ces trois moyens sont le jeûne, l’aumône ou le partage et la
prière.
Ces moyens concrets, du jeûne, de l’aumône et de la prière sont les balises de notre
carême. Ils viennent déchirer notre coeur, c’est-à-dire ouvrir notre intimité toute
entière au projet de Dieu qui est de se communiquer à nous pour que nous ayons
la vie et la vie en abondance.
Dans un appel vibrant, Saint Paul nous exhorte « à ne pas laisser sans effet la grâce
reçue de lui. Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable je t’ai exaucé, au jour
du salut je t’ai secouru. Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant
le jour du salut. »
Bon Carême !
Abbé Hervé Godin