Lucile et Alexandre avaient depuis longtemps le désir de consacrer une année pour les autres et pour Dieu. Dès leurs fiançailles, le projet de partir un an pour aider des Sœurs s’occupant de jeunes orphelins s’est fait jour. Une fois mariés, Lucile et Alexandre ont ainsi rejoint Sœur Arousiag en Arménie. Une expérience extraordinaire qu’ils nous font découvrir (interview réalisée en 2014).
Pourquoi l’Arménie ?
En 1988, l’Arménie, déjà fortement affaiblie par plusieurs vagues de génocides et 70 ans de régime communiste, subit un séisme dévastateur et très meurtrier notamment dans les villes de Spitak et Gyumri au nord du pays qui seront détruites à près de 80%.
Très affectée par la catastrophe, Sœur Arousiag, religieuse appartenant à la congrégation des sœurs d’Arménie quitte les États-Unis et s’installe en Arménie. Depuis 24 ans, elle œuvre auprès des laissés-pour-compte via plusieurs structures à Gyumri : orphelinat, lycée professionnel pour des jeunes défavorisés, centre d’accueil de jour pour des personnes âgées en situation de grande solitude et défavorisées.
Nous portions depuis longtemps, bien avant notre rencontre, le désir de consacrer une année pour les autres et pour Dieu, de placer notre curseur de vie dans une direction qui nous décentre de nous-même. Lors de nos fiançailles, le projet de partir un an et de rejoindre la Sœur Arousiag s’est imposé très clairement. En effet, le prêtre qui nous a préparé au mariage, passionné par l’art sacré arménien (ndlr : L’Arménie a été le premier pays à déclarer le christianisme religion d’état en 301), avait rencontré la Sœur Arousiag au cours d’un de ses voyages. Alexandre ayant des origines arméniennes, le prêtre nous a tout de suite parlé des actions des sœurs et encouragé à la rejoindre. Nous qui avions d’abord imaginé partir en Amérique Latine, nous n’aurions pas imaginé un seul instant rejoindre ce petit pays. Lucile avoue d’ailleurs qu’elle n’aurait à l’époque pas su le situer sur une carte !
Quel engagement sur place ?
Notre mission ici est assez diverse et principalement consacrée aux enfants de l’orphelinat : cours de français ou d’anglais, conduites à l’école, surveillance des enfants, aide à l’organisation d’activités ludiques… Chaque minute passée auprès des enfants est pour nous l’occasion de leur distiller un peu d’amour et de confiance, leur dire qu’ils sont précieux, car ils sont terriblement blessés. Car si les premiers enfants accueillis par la sœur étaient ceux du tremblement de terre, les orphelins de 2014 sont des orphelins dits « sociaux », abandonnés par leurs parents, c’est une double peine bien difficilement supportable !
Le fait d’accueillir un couple dans l’orphelinat n’est pas anodin pour les sœurs. Notre regard sur eux n’est pas perçu de la même manière et cela donne aux enfants une écoute et une attention complémentaire. Nous sommes par exemple confrontés aux questions du mariage pour les plus grandes filles des sœurs. Notre parole sur l’importance du choix du futur époux et du discernement est peut-être perçue différemment. Car c’est bien souvent l’urgence de construire quelque chose à tout prix qui prime pour ces jeunes filles de 19 ans qui rêvent d’un ailleurs qui par définition semble souvent meilleur.
Enfin, nous aidons la sœur dans la recherche de fonds pour financer l’ensemble de ses projets. En effet, la congrégation ne perçoit aucune aide gouvernementale pour faire vivre ces structures. Ces projets ne sont donc viables qu’avec le concours et la générosité de tout un chacun.
Les sœurs aident également financièrement une cinquante de familles pauvres de la région. Nous travaillons actuellement particulièrement auprès d’une famille en grande difficulté qui vivait dans une maison sans porte ni fenêtre par -30°C. Nous venons de lancer dans l’urgence, les travaux de reconstruction de la maison afin que cette famille puisse passer l’hiver au chaud et dans des conditions dignes, en priant pour que la providence nous aide à trouver les 30 800 € nécessaires à la reconstruction de la maison.
Pourquoi vous êtes-vous engagés dans cette mission dès le début de votre mariage ?
Pour deux raisons principalement. D’abord parce que c’était un vieux rêve que nous avions hâte de réaliser et qu’il nous semblait que le fait de ne pas avoir encore d’enfant nous rendait totalement disponible à notre mission. Par ailleurs, nous avions l’intuition que cette année, sans savoir exactement ce qu’elle allait nous apporter allait changer notre vie et orienter notre regard pour les années à venir et notre projet de couple. Nous ne nous sommes pas trompés !
Quels enseignements ?
Nous avons pris conscience qu’il y a un grand pas entre vouloir servir et se mettre au service concrètement. Le premier apprentissage est donc d’abord celui du don de soi qui est plus difficile certains jours. Le deuxième enseignement est que l’engagement demande de s’engager sur la durée. Comme pour le couple ! Que réalise-t-on en un an ? Peu de choses. Alors, nous nous mettons à l’école des Sœurs qui ont donné leurs vies pour ces enfants. Nous avons donc le désir de continuer à aider les sœurs après notre retour en France. Nous développons actuellement une association dans ce sens afin de les aider d’un point de vue matériel et humain sur le long terme. Mais nous avons aussi à cœur de revenir régulièrement pour continuer à accompagner ces enfants que nous aimons et que nous portons en nous désormais. Car ces enfants manquent cruellement de référentiels stables, qui les accompagnent tout au long de leur évolution et en qui ils aient confiance, en dehors des sœurs bien entendu.
Qu’est-ce que vous apporte cette mission à la fois humainement et spirituellement ?
Alexandre : Imaginez quel choc culturel de passer de notre écosystème parisien à une récente ancienne république soviétique, heurtée par des vagues de génocides et un tremblement de terre.
Je voudrais me souvenir de la solidarité des arméniens quand leur voisin se trouve en difficulté et de la chaleur de leur cœur quand ils nous accueillent dans leur maison. C’est un peuple qui humainement a beaucoup de leçons à nous donner à nous, occidentaux, capables d’une si forte indifférence à l’autre.
Trop souvent, j’avais le sentiment que l’homme est au service de la religion et au travers de notre voyage chez Les sœurs arméniennes de l’Immaculée Conception, la religion se met au service de l’homme. Les Sœurs puisent du Seigneur une énergie, une conviction et un courage inépuisable. Et chaque prière de matin, du jour ou de la nuit est au service d’une cause : l’Humanité. Alors nous apprenons à prier pour quelque chose de palpable, pour avoir chaque jour la force de nous sublimer pour les enfants d’Arménie. De nature très cartésienne, je découvre et chéris ce pragmatisme de « prier pour servir ».
Lucile : D’un point de vue humain, je crois que je découvre pour la première fois la vie communautaire avec ce qu’elle a de positif et aussi de plus contraignant. Car si nous vivons en communauté avec les Sœurs, cela n’a ici rien d’exceptionnel puisque la communauté est un art de vivre en Arménie comme dans beaucoup d’autres pays du moyen orient.
Inimaginable ici pour une jeune fille de prendre un appartement seule avant d’être mariée. Elle passe de chez ses parents à ses beaux-parents, mieux vaut donc avoir de bonnes relations avec sa belle-mère car elle la verra plus que son propre mari ! C’est très difficile à imaginer pour nous.
Nous constatons par ailleurs que le poids de la famille est un vrai garde-fou aux problèmes de la solitude que nous pouvons connaitre en France. Autre fait intéressant, si ce pays est pourtant très pauvre, il n’y a pas de mendiants dans les rues car les gens s’entraident avec le peu qu’ils ont.
Spirituellement, j’avais beaucoup d’attentes, débarquant dans un pays si chargé d’histoire chrétienne. Et je crois que pour des gens qui viennent quelques jours en Arménie, assister à une messe ici est tout à fait extraordinaire, la liturgie est d’une grande beauté et pratiquement inchangée depuis le IVème siècle !
Mais pour parler sans langue de bois, le décorum a pris le pas sur l’intériorité dans ce pays où le communisme a fait de ravages et où l’on se dit chrétien par affirmation culturelle plus que par profonde conviction, ce qui conduit à des comportements dogmatiques où la charité est souvent absente. Je crois que l’Arménie a profondément besoin de nos prières pour retrouver le feu de son baptême.
De plus, au bout de quelques mois, l’on s’aperçoit que la liturgie romaine nous manque et que la barrière de la langue est aussi un frein dans la prière. D’autant plus que les arméniens aiment à dire et répéter des prières, le silence est quelque chose d’assez peu présent. Il faut donc arriver à dépasser cette sécheresse spirituelle et à l’offrir avec confiance. Pas toujours simple… J’offre donc ma journée et mon quotidien simplement en sachant que Dieu agit dans le concret de nos vies.
A votre retour en France, quelle suite compterez-vous donner à cette expérience ?
Dans le cadre de nos actions, nous avons eu à cœur de soutenir financièrement l’ensemble des projets des Sœurs d’Arménie, par le biais de levées de fonds au travers d’une structure associative intitulés « Notre Arménie ». Cette association, qui s’est créée au travers de notre action et du concours d’un couple de parents ayant adopté une petite arménienne, a pour objectif de subvenir aux besoins des plus défavorisés d’Arménie : enfants, personnes âgées, familles en difficultés.
Cette année en Arménie est donc pour nous le commencement d’une aventure qui nous amènera nous l’espérons, grâce au concours de tous, vers le bien-être de plus en plus d’enfants, hommes et femmes d’Arménie.
Pour en savoir plus
Le site internet de l’association Notre Armenie
Interview de Sœur Arousiag :