La parabole des ouvriers de la onzième heure dénonce la jalousie de ceux qui estiment être plus méritants et refusent ainsi le pardon accordé aux nouveaux venus parmi les communautés de chrétiens.
Dans la logique habituelle, la rémunération est proportionnelle à l’effort fourni. Mais par cette parabole, Jésus veut montrer que Dieu ne s’inscrit pas dans cette logique étroite. Dès lors qu’on le lui demande, Dieu offre le salut. Agissant ainsi, il n’est pas injuste mais au contraire généreux.
Sens du texte des ouvriers de la onzième heure
Une histoire « injuste »
Un homme a besoin d’ouvriers pour sa vigne. Il va au village embaucher des ouvriers et leur promet une pièce d’argent pour la journée.
Trois heures plus tard, il retourne au village, trouve encore des désœuvrés et les embauche. Et ainsi tout le jour. A cinq heures du soir, il rencontre encore des gens qui « traînent » et les envoie à sa vigne, même s’il ne reste guère qu’une heure de travail.
Et voilà qu’au moment de la paie, il remet à tout le monde une pièce d’argent. Scandale ! Cela semble fortement injuste pour ceux qui ont travaillé toute la journée et qui ne reçoivent pas plus que ceux qui ne sont venus que pour quelques heures, voire pour une heure.
Les ouvriers de la onzième heure : une parabole
Une parabole est une histoire de la vie ordinaire qui vise à illustrer une idée forte. Il convient de ne pas la lire en faisant un parallélisme, point par point et détail par détail, avec ce qui devrait être. Il faut se demander pourquoi le narrateur raconte cette histoire, qu’est-ce qu’il veut nous dire, quelle en est la leçon ? Comme dirait La Fontaine, quelle est « la morale de cette histoire ? ».
Le débat engendré par la parabole
- « Ce n’est pas juste » disent les ouvriers de la 1ère heure, et on les comprend !
- A quoi le maître répond : je ne vous ai pas fait tort puisque j’avais convenu avec vous d’une pièce d’argent.
- Oui mais nous avons travaillé plus que les autres, nous méritons plus.
- C’est vrai, mais j’ai le droit de donner à quelqu’un au-delà de ce qu’il a mérité et au-delà de ce qui serait normal. C’est mon droit, c’est ma bonté. Ne soyez pas jaloux. Ne soyez pas « mauvais » parce que je suis bon, répond le maître.
La parabole annonce une autre logique
Ce débat est sans doute sans issue, sauf à comprendre que la logique du Royaume de Dieu (la parabole a commencé par les mots « Le Royaume de Dieu est comparable… ») a quelque chose de déroutant pour la logique de la simple justice humaine, celle qui juge sur l’équivalence : tant d’heures, tant d’argent…
La logique de Dieu c’est la logique de l’amour, un amour qui n’est pas proportionnel au mérite du bénéficiaire, un amour gratuit, largement donné, car l’amour ne compte pas.
Pourtant il ne s’agit pas d’un assistanat irresponsable. Il y a une exigence, celle de se mettre au travail (en termes chrétiens, on dira qu’il est toujours temps de se convertir). La bonté de Dieu est commandée par son amour infini et gratuit. Du coup, il n’est jamais trop tard pour découvrir que nous sommes appelés, invités, et il n’est jamais trop tard pour répondre.
Le Royaume de Dieu n’est pas d’abord quelque chose qu’on mérite. Il est invitation à tous :
« – Pourquoi restez-vous là, à « traîner » sans rien faire ?
– Parce que personne ne nous a invités !
– Venez, je vous invite ».
La vigne correspond ici au Royaume de Dieu, à la foi du croyant. Le maître du domaine viticole, c’est Dieu. Les ouvriers, ce sont les hommes. La parabole signifie que pour Dieu, les hommes ont tous la même valeur (« 1 pièce » dans la parabole) à ses yeux, que ceux-ci l’aient rejoint dans son « Royaume » tôt ou tardivement dans leur existence. La foi du croyant n’est pas rétribuée selon sa durée.
La parabole se termine d’ailleurs de la façon suivante : « C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. ».
La parabole des ouvriers de la onzième heure : méditation
« Je vous donnerai ce qui est juste ». Dans le cas présent, tout le monde ne semble pas d’accord sur ce qui est juste. Ce n’est pas juste que l’autre qui n’a travaillé qu’une heure reçoive autant que moi, qui ai travaillé toute la journée ! Pourtant c’est juste que tu reçoives le salaire sur lequel nous nous sommes accordés ! Et n’est-ce pas juste que j’embauche, même pour une heure, celui qui restait au chômage ? N’est-ce pas juste que, si je l’embauche, je lui donne de quoi vivre ? N’est-ce pas injuste que personne ne l’ait embauché ? N’est-ce pas injuste, si j’ai de l’argent, que je n’en fasse pas profiter ceux qui en ont le plus besoin ?
Seigneur, ton royaume est un bien qui ne se donne pas uniquement au mérite. Il y en a qui ont reçu la foi dès l’enfance, qui ont pu se mettre à ton service, qui parfois même se sont donnés à fond dans le service des autres. Ceux-là t’entendront dire peut-être : « C’est bien, bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maître ». Ton salaire est bien plus qu’une pièce d’argent : c’est la plénitude de la vie, c’est une joie qui est sans commune mesure avec mes mérites, aussi grands soient-ils. Et les autres ? Tous les enfants prodigues, tous les ouvriers de la dernière heure, toutes les brebis perdues et retrouvées au dernier moment, tous les fils des ténèbres devenus ouvriers du Royaume ? Quel salaire auront-ils ? Mais il n’y a qu’un salaire ! Ta pièce d’argent, Seigneur, ne se divise pas ! Ta lumière, ta vie, ta joie, tu la donnes tout entière.
Heureusement, Seigneur, que tu n’es pas juste, du moins selon notre justice ! Malheur à moi, si tu me donnes à la mesure de mon travail, si tu me rétribues en fonction de mes mérites. Gloire à toi, qui me juges non selon mon amour mais selon ton amour.
Thierry BRAC de la PERRIERE
Évêque de Nevers