Belles poésies spirituelles

Plaintes d’un chrétien sur les contrariétés qu’il éprouve au-dedans de lui-même

 

Par Jean Racine, dramaturge et poète (1639-1699)

(Cantiques spirituels, III)

 

Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi :
L’un veut que plein d’amour pour toi
Mon cœur te soit toujours fidèle.

L’autre, à tes volontés rebelle,
Me révolte contre ta loi.

 

L’un tout esprit, et tout céleste,
Veut qu’au ciel sans cesse attaché,
Et des biens éternels touché,
Je compte pour rien tout le reste ;
Et l’autre par son poids funeste
Me tient vers la terre penché.

 

Hélas ! en guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix ?

 

Je veux, et n’accomplis jamais.
Je veux, mais, ô misère extrême !
Je ne fais pas le bien que j’aime,
Et je fais le mal que je hais.

 

O grâce ! ô rayon salutaire !
Viens me mettre avec moi d’accord ;
Et domptant par un doux effort
Cet homme qui t’est si contraire,
Fais ton esclave volontaire
De cet esclave de la mort.

Prière

 

Par Marie Noël, poétesse (1883-1967)

(Les chants de la Merci, Première partie)

 

Mon Dieu, source sans fond de la douceur humaine,
Je laisse en m’endormant couler mon cœur en Vous
Comme un vase tombé dans l’eau de la fontaine
Et que Vous remplissez de Vous-même sans nous.

 

En Vous demain matin je reviendrai le prendre
Plein de l’amour qu’il faut pour la journée. Ô Dieu,
Il n’en tient guère, hélas ! Vous avez beau répandre
Vos flots en lui, jamais il n’en garde qu’un peu.

 

Mais renouvelez-moi sans fin ce peu d’eau vive,
Donnez-le-moi dès l’aube, au pied du jour ardu
Et redonnez-le-moi lorsque le soir arrive,
Avant le soir, Seigneur, car je l’aurai perdu.

 

Ô Vous de qui le jour reçoit le jour sans trêve,
Par qui l’herbe qui pousse est poussée en la nuit,
Qui sans cesse ajoutez à l’arbre qui s’élève
L’invisible hauteur qui dans l’air le conduit,

 

Donnez à mon cœur faible et de pauvres limites,
Mon cœur à si grand’peine aimant et fraternel,
Dieu patient des œuvres lentes et petites,
Donnez à chaque instant mon amour éternel.

 

Prière

Par Bruno Edan, peintre et poète (1957-1981)

Août 1980, Monastère de Beaufort.

 

 

J’étais blotti contre ma chaise,

Mes yeux aussi, s’étaient blottis

Comme deux astres

qui palpitent – dans le froid des abîmes.

Mon regard de nuit

s’était blotti

contre le corps du Christ.

[…]

Contre ce corps plaintif

Je me suis blotti

blotti

blotti

blotti

contre ce corps dévasté de peines,

contre cette plainte

consolant les miennes

comme à la Cène ;

Je me suis réchauffé.

réchauffé

réchauffé

réchauffé

Puis son ombre divine

évoquant le soleil,

faisait resplendir

à travers les parois

un vol transparent

Ayant raison de tout,

Faisant fondre les murs

et les façades :

« Ces climats sans frissons

et odeurs. »

Et dans ce vol transparent

ayant raison de tout

je me suis laissé bercé

consolé.